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Par Laurence Danguy

Jugend, revue illustrée hebdomadaire munichoise pour l’art et la vie est une revue illustrée hebdomadaire d’un rayonnement considérable autour des années 1900. Plus connue sous le simple nom de Jugend, en français « jeunesse », cette revue de langue allemande est généralement connue pour être l’organe de propagande du style éponyme, le jugendstil, variante germanique de l’art nouveau. Elle se présente sous un format à peu près équivalent à l’actuel A 4, comme un mélange de textes et d’images déclinés sous tous les tons, de la fable illustrée jusqu’à la caricature. Commençant de paraître en 1896 à Munich, alors métropole artistique de premier plan et foyer éditorial très actif, elle est un produit éditorial inédit se rattachant à différentes traditions de presse, de la très ancienne caricature aux toutes récentes revues d’art. Elle adopte depuis la capitale bavaroise un positionnement anti-wilhelminien, libéral, quoique patriote. Revendiquant une orientation programmatique ouverte à toutes les nouveautés esthétiques, sans hiérarchisation des genres, elle prétend porter une parole libre en toutes circonstances. Chaque semaine, elle propose un contenu impertinent, dont le ton est donné par une couverture bigarrée, sans cesse renouvelée, une innovation symbolisant son ambition de nouveauté constante. Tout ce que compte Munich d’artistes y participe. 
 

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Jugend, 1896.


Diffusée dans l’ensemble des pays germaniques, elle connaît d’emblée un succès considérable dans une large couche de la population plus ou moins en retrait avec les valeurs de l’Allemagne de Guillaume II. Le lectorat se laisse séduire par son orientation moderniste, plus radicale dans la posture que dans les faits, un constat qui vaut aussi bien pour les mots que pour les images. Son extraordinaire longévité parmi la pléthore de revues que compte l’Allemagne wilhelminienne – elle paraît jusqu’en 1940 - est à mettre au compte d’une politique commerciale agressive, alliée à un certain génie du compromis. Elle atteint en 1910 son tirage le plus important avec 80 000 exemplaires. 

 

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Jugend, 1899.


Même si Jugend est intimement liée au jugendstil, elle ne peut lui être réduite. D’abord, d’autres formes d’expression y sont représentées dès l’origine, ensuite, la version que livre Jugend du jugendstil est une adaptation munichoise au médium revue. A vrai dire, la revue doit plutôt s’entendre comme le prolongement de la Sécession munichoise de 1892, lors de laquelle le jugendstil acquiert une visibilité transgressive vis-à-vis d’un art académique tenant lieu dans l’Allemagne de Guillaume II d’art officiel. Georg Hirth, le créateur de Jugend, y prend une place active, en tenant notamment une tribune dans son journal à fort tirage, les Münchner Neueste Nachrichten, en faveur d’un art libéré de toute tutelle académique. Contenu comme destin de la revue sont du reste très liés à la personnalité de Georg Hirth qui imprime jusqu’à sa mort, en 1917, des visions progressistes à une direction collégiale qui le suit avec plus ou moins de zèle, n’évitant pas toujours les maux de l’époque, racisme, misogynie ou antisémitisme. A cette date, la revue qui a fait beaucoup de concessions esthétiques est démodée ; malgré des tentatives louables, elle ne recouvre jamais durant la République de Weimar sa splendeur passée. Lorsqu’elle cesse de paraître en 1940, après avoir fusionné avec une revue dédiée à la photographie, elle n’est depuis longtemps que l’ombre d’elle-même. 

 

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Jugend, 1905.


La place réservée à la caricature dans Jugend est importante dès l’origine et ne cesse de croître, en particulier à partir de 1905. Dans cette revue, qui privilégie le ton de l’humour, la caricature ne se distingue pas toujours nettement du dessin d’humour. L’éventail thématique se superpose à celui que l’on retrouve dans les revues satiriques de cette même aire culturelle, croquis de mœurs, caricature de styles ou traitement d’une actualité politique brûlante. Le ton est d’autant plus incisif qu’il s’agit d’affaires extérieures à l’Allemagne ou au monde de Jugend. L’accent est mis sur les cibles servant le positionnement éditorial de la revue : art académique, courants fin de siècle, institutions berlinoises, armée, mode, critique et clergé, avec une mention spéciale pour ce dernier. La spécificité des caricatures de Jugend réside dans une esthétisation jugendstil, néanmoins réservée aux thèmes spécialement investis.

Laurence Danguy (mis en ligne en juillet 2007)

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Bibliographie

Danguy Laurence, Jugend et son ange : regards croisés de l’anthropologie religieuse et de l’histoire de l’art sur la figure de l’ange dans la revue Jugend (1896-1920), EHESS/Universität Konstanz, 2006 (thèse de doctorat)

Gourdon Suzanne, La « Jugend » de Georg Hirth : la Belle Époque munichoise entre Paris et Saint-Pétersbourg, Strasbourg, Centres d’Études germaniques, 1997

Koreska-Hartmann Linda, Jugendstil – Stil der Jugend – Auf den Spuren eines alten, neuen Stil und Lebensgefühls, Munich, Deutscher Taschenbuch Verlag, 1969 (publication dérivée d’une thèse de doctorat)

Segieth Clelia, Im Zeichen des « Secessionismus » – Die Anfänge der Münchner « Jugend » ; Ein Beitrag zum Kunstverständnis der Jahrhundertwende in München, Munich, Clelia Segieth, 1994 (thèse de doctorat)

Weisser Michael, Im Stil der « Jugend » : die Münchner illustrierte Wochenschrift für Kunst und Leben und ihr Einfluss auf die Stilkunst der Jahrhundertwende, Francfort-sur-le-Main, Fricke, 1979.




Tag(s) : #Presse "satirique"
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