Dans le cadre des commémorations de l’année 2006, le livre de Raymond Bachollet rappelle les événements relatifs à la crise politique qui s’est cristallisée autour de la personne du capitaine Dreyfus. Mais contrairement à bien des ouvrages, celui-ci insiste sur l’image. Il nous convie à une exploration des faits, des mouvements de l’opinion, des clivages politiques, mais aussi des représentations collectives.

L’originalité du travail de R. Bachollet réside dans la nature même de ses sources : les images publiées par la presse, en général négligées ou mal comprises par les historiens, car considérées comme trop imprécises, voire même inconsistantes. Et pourtant, cette presse, souvent illustrée, est pleinement représentative de l’essor politique et culturel du XIXe siècle. L’image imprimée représente donc un matériau incontournable pour qui veut sonder les mentalités de la période.

R. Bachollet raconte la crise au travers des caricatures, des photographies, ou encore des gravures descriptives tirées des couvertures du Grelot, de L’Illustration, du Rire ou encore du Psst…! et du Sifflet. Ces images saisissent le lecteur par leur puissance et la théâtralité de leurs mises en scènes, leur inventivité, leur humour parfois, ou plus souvent leur ignominie.

R. Bachollet s’intéresse aux pulsations de cette presse, alors très polémique et toujours prête à se battre. Il raconte comment la crise a fait naître – et mourir- des brûlots satiriques, véritables feux de paille faits pour embraser les consciences. Le lecteur découvre le cheminement de dessinateurs talentueux qui ont choisi leur camp et diffusent, par leur crayon, des arguments visuels propres à entraîner les foules. 

Le livre raconte la tourmente dans laquelle s’enfonce le pays, riche en révélations et en rebondissements. Zola par son « J’accuse » ébranle les consciences, inverse le balancier de l’opinion. On s’interroge finalement sur cette armée cléricale et répressive, capable de tous les crimes. On demande de plus en plus la révision du procès.

La très riche iconographie qui fait le corps même de ce livre montre combien l’image, caricaturale ou non, loin de refléter la réalité, est avant tout un instrument de modélisation des consciences, s’appuyant sur des stéréotypes multiséculaires. Ces images tentent d’aiguiser les peurs et les préjugés, les renforcent ou les créent, font appel à des stimuli psychologiques puissants. Le juif « typique » prend des allures inquiétantes, vulgaires, sales et morbides. On l’animalise en insecte, en parasite. A l’opposé, d’autres images visent à sacraliser tel acteur historique ou tel événement.

Le livre de R. Bachollet, très pointu sur le déroulement des événements, mériterait d’offrir quelques clés sur les mécanismes précis du langage des images. Comment s’élaborent, évoluent et disparaissent les stéréotypes ? Quid des stratégies propagandistes des journaux qui les diffusent ? Une grille d’analyse de la rhétorique caricaturale et des imaginaires autour de l’affaire Dreyfus aurait été passionnante.

Ce petit ouvrage dont la riche iconographie qu’une mise en page particulièrement réussie valorise pleinement, invite à s’interroger sur le rôle et l’importance de l’image dans la formation et le déroulement des crises politiques. Une question passionnante qui, on l’a vu avec l’affaire des caricatures de Mahomet, reste pleinement d’actualité.

G. Doizy

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Autres ouvrages sur la caricature

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BACHOLLET Raymond, Les 100 plus belles images de l’Affaire Dreyfus, Editions Dabecom, 112 pages, 180 illustrations.

Tag(s) : #Comptes-rendus ouvrages
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